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Le : 12/11/2024

Nos synthèses de conférences

La paix : idéal moral, fabrique politique

Intervenants :   Raphaël Glucksmann, député européen, fondateur du mouvement Place publique et essayiste. // Mickaël Foessel, philosophe spécialiste d'Emmanuel Kant et de Paul Ricoeur. 
Animateur : Martin Legros, Journaliste et rédacteur en chef de Philosophie Magazine
Année : 9 novembre 2024
: Festival Michel Serres, théâtre Ducourneau à Agen

Résumé de la conférence :

« Il ne doit pas y avoir de guerre » ou l’interdit de la guerre et l’exigence morale de la paix. Voici un résumé de la pensée d’Emmanuel Kant, philosophe allemand de la fin du 18ème siècle. Machiavel, quant à lui, se fait la caricature de l’inverse : la guerre comme pouvoir, celui avant tout de garder la souveraineté de ses Etats. La guerre comme arme non pas de destruction mais de consolidation. C'est avec ce préambule que Mickaël Foessel ouvre cette conférence. 

La guerre fascine, on parle d’ailleurs beaucoup plus de guerre que de paix. Les écrits s’accumulent sur les guerres, les guerres ont une narration, une dramaturgie forte, c’est un événement ! La paix c’est le silence des armes, or le silence justement se passe de mots, il s’explique peu.

Kant est le reflet de son époque, du siècle des Lumières. Son affirmation se fait forte et distincte car il sort la paix de la sphère du privé, de la vie intérieure, d’équilibre personnel. La paix est différente de cette morale là, de cette vie saine.

Comment instituer la paix ? Cette question, Kant se la pose notamment dans un contexte européen post 1648 et post traités de Westphalie qui mettent fin à deux séries de conflits en Europe. Ces traités redéfinissent ainsi les équilibres politiques et religieux, instaurant la paix de manière profonde. La guerre c’est le contraire du droit. Il y a trois conditions selon Kant pour instaurer la paix : 1. Instaurer partout la souveraineté du peuple, autrement dit mettre en place des républiques. Deux démocraties ont en effet moins de chance de se faire la guerre. 2. Instaurer une sorte de société des nations, une instance qui serait au-dessus des Etats et qui pourrait trancher en cas de désaccord. 3. Avoir un droit cosmopolitique ou droit des citoyens du monde ou encore tout simplement le droit des étrangers. L’autre c’est celui qui est proche finalement. Ce droit est aussi un droit à la promiscuité. Partant du constat que la terre est ronde, finie et sphérique et même si les êtres humains cherchent à s’éviter, nous sommes condamnés à vivre les uns à côté des autres, voilà la promiscuité selon Kant.

Pour Raphaël Glucksmann, la paix est d’abord une vision, ce vers quoi on tend. Selon lui, on peut donc recourir à la guerre pour atteindre la paix. Il n’y a pas à choisir entre Kant et Machiavel, tous les deux sont des penseurs de la République finalement. La paix porte en elle une tension : une tension entre son idéal et la nécessité des moyens pour réaliser cet idéal et nous sommes en permanence dans cette conflictualité. La « paix des cimetières » de Montesquieu qui révèle le calme apparent mais surtout la docilité des peuples, la soumission et la non revendication du droit, cette paix là est-elle enviable ?

Mickaël Foessel note que Kant reconnait un droit de résistance ce qui reste différent des guerres d’agression qui demeurent des violations du droit. La "paix des cimetières" fait écho à la mort qui est elle-même la paix éternelle. La paix sans vie. Nouveau rappel clair pour le philosophe : toute paix fondée sur la négation du droit est illégitime.

Raphaël Glucksmann met en lumière un risque majeur pour l’Europe : celui d’être dans le couloir pendant que les Etats-Unis et la Russie se mettent d’accord et décident pour nous. Il y a une guerre hybride qui est menée, des cyberattaques contre nos hôpitaux, des fakes news sur les réseaux, des modifications d’algorithmes, etc. Comment réagir ? A-t-on réagit d’ailleurs ? Néanmoins, « là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve » comme le disait poète allemand Hölderlin.

Mickaël Foessel reconnaît à Kant une erreur. Il voulait croire que le « doux commerce » allait se substituer à la guerre. Il s’est trompé. Raphaël Glucksmann abonde dans ce sens. Nos Etats aussi y ont cru ! Ce n’est pas parce qu’on achète du gaz aux Russes que la guerre s’éloigne, ce n’est pas parce que nous sommes le premier marché économique pour les Chinois que la démocratie prospère en Chine. Les Etats-Unis, suite à la seconde guerre mondiale, ont été nos protecteurs, les garants d’un équilibre mondial. Ils étaient le parapluie de l’Europe notamment grâce à leur force de dissuasion nucléaire. Sauf que le parapluie est en train de se refermer. Ce que nous pensions comme acquis ne l’est plus. D’autant plus avec l’élection de Donald Trump.

Une analogie historique peut d’ailleurs être faite entre ceux qui défendaient les accords de Munich de 1938 (qui ont permis à Hitler d'annexer les régions tchécoslovaques)  et les « patriotes » d’aujourd’hui. L’extrême droite s’approprie des mots qui ne leur ressemblent pas. Ils sont aux mains de régimes autoritaires, obscurantistes. Le patriote est celui qui défend son pays et ses valeurs et non qui les rejette. Nous avons des croyances telles que : les Etats-Unis nous protègent, le commerce empêche la guerre, nous vivons en démocratie, etc. Or, nous sommes des démocrates par habitude, par héritage. La démocratie s’effrite voire s’effondre, elle doit se vivre et s’entretenir, donner à penser et à réfléchir. L’école seule ne peut pas porter cette responsabilité, elle doit être partagée et populaire. Il faut que nous ayons la volonté d’exister. Raphaël Glucksmann clôt la conférence sur une anecdote partagée par Romain Gary. Ce dernier s’interrogeait sur le très peu de gens qui ont suivi le général De Gaule à Londres. Etaient-ils nazis ? Etaient-ils antisémites ? Pas tous, non. Alors pourquoi ? Sa réponse est affligeante de simplicité : ils étaient trop attachés à leurs meubles ! Il va falloir qu’on se libère de nos meubles si l’on veut sauver la maison.

(crédit image : Festival de Philosophie Michel Serres)

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